Fidèle à l’image sacrée que l’on se fait de l’antre d’un auteur, la bibliothèque magistrale de Pauline Dreyfus, lauréate du prix des Deux Magots et finaliste du Goncourt, fourmille de savoirs et force le visiteur à un silence quasi-religieux. L’autrice, dont le bureau jouxte ce monument littéraire qui nourrit quotidiennement ses écrits, ne se lasse d’en parcourir les rayons en quête d’anecdotes familiales et professionnelles ou autres histoires de vie qui sont autant de raisons d’être de ses écrits.
Les objets je peux très bien m’en passer tant que j’ai mon ordinateur avec moi. Je l’emmène partout, même en vacances, j’écris n’importe où, n’importe quand, et je ne m’ennuie jamais. C’est mon doudou – une vieille machine un peu lente de cinq, six ans – le seul bien matériel qui me soit absolument vital.
Lire aux éclats !
Cette bibliothèque est une survivante. En 2010, nous étions partis passer le week-end en famille en Normandie et à notre retour, nous avons été frappés par une odeur très forte d’humidité. Notre maison avait été inondée par une fuite d’eau qui opérait depuis notre départ, trois jours auparavant. Nous marchions littéralement dans l’eau, certains tableaux avaient été arrachés des murs, les dossiers scolaires de mes enfants et mes livres de chevets s’étaient noyés, mais la bibliothèque était saine et sauve. Je dois avoir une bonne étoile dans ma vie.
Je suis une enfant d’Apostrophes, et d’ailleurs je suis en deuil de cette émission qui n’a jamais été remplacée. Chez nous, tous les vendredis soir c’était très simple, à 21h25, la vie s’arrêtait. En famille devant le poste : Concerto n°1 de Rachmaninov, puis l’image s’ouvrait sur le plateau avec les auteurs invités.
Nous étions scotchés. Et le samedi matin, nous filions à la librairie pour nous procurer les livres entendus la veille. C’était extraordinaire.
Alors, à l’occasion de ma sélection pour le prix Goncourt, quand j’ai dédicacé Ce sont des choses qui arrivent à Bernard Pivot, qui était à l’époque membre de l’académie, j’ai écrit « À Bernard Pivot, qui a illuminé les vendredis soir de mon enfance. » Lorsque j’ai raconté ça à mon mari le soir-même, il s’est écrié « Tu ne peux pas avoir écrit un truc pareil, c’est d’une banalité confondante, en plus ça lui donne un coup de vieux ! »
Apparemment, L’intéressé ne m’en a pas voulu puisqu’il a consacré à mon livre un énorme article dans le Journal du dimanche et qu’en plus je suis arrivée en finale du Goncourt.
Dans mes lectures il y a deux choses différentes : la littérature d’une part puisque je suis ce que produisent mes collègues, c’est extrêmement important de savoir ce qu’il se passe et les autres auteurs sont aussi source d’inspiration : ça marche par capillarité. Et, d’autre part, les livres historiques que je lis dans le cadre de travaux de recherche quand je suis en phase d’écriture.
Archives personnelles
Comme toutes les mamans, j’ai des centaines de photos de mes enfants. J’ai un côté archiviste, je fais des albums à l’ancienne. Ils sont tous répertoriés avec des légendes etc… j’ai dit à mes enfants que quand je ne serai plus là, ils seront bien contents de les avoir, j’estime que c’est quelque chose d’important pour la mémoire familiale.
J’ai un garçon et deux filles qui sont, comme moi, de bons lecteurs. Je n’aurais pas pu imaginer qu’ils ne le soient pas, il m’aurait manqué un lien avec eux. Ils ne lisent pas forcément tout ce que j’écris mais ils suivent de très près ma carrière. La sélection en finale du prix Goncourt de Ce sont des choses qui arrivent les a fait vibrer !
L’œil de Moscou
J’ai beaucoup de photos de famille, mais j’ai aussi une photo de Charles Dantzig, mon éditeur chez Grasset, que je cache car j’ai été censurée par mon mari. Je le comprends : l’image n’est pas très belle et elle n’a pas sa place parmi les photos de famille. Mais quand je procrastine, je sais qu’elle est là et je la sors pour me donner un coup de fouet. Elle me rappelle qu’il faut que je m’y remette !
Je suis comme tout le monde, je passe une bonne partie de mes journées à répondre à des mails et des SMS et quand je suis en période de promotion d’un livre, je n’ai pas le temps d’écrire, je vais d’interviews en signatures… Tous les auteurs sont obligés le faire s’ils veulent donner un peu de chance à leur livre. J’ai un copain écrivain, Grégoire Delacourt qui est très drôle et qui explique ça très bien : c’est le principe de la métastase, tu vas à une signature, tu vends cinquante livres à des gens qui vont en parler chacun à cinquante de leurs proches, qui eux-mêmes…
Pour écrire, j’ai besoin d’attendre la fin de ces périodes de promotion et d’avoir quatre heures devant moi pour pouvoir me concentrer. Ensuite, je vais assez vite, je me plie à un emploi du temps strict de 8h30 à 17h quitte à sauter le déjeuner. Pendant un an, je ne fais que ça, je ne vois personne hormis ma famille. C’est drôle d’enchainer cette phase de solitude absolue avec ces périodes de six mois à parler constamment de son livre à des journalistes, des lecteurs, des étudiants…
Trophées
En janvier 2013, j’ai remporté le prix des Deux Magots pour Immortel, mon livre sur Paul Morand. Ce prix littéraire fêtait cette année-là ses quatre-vingts ans et c’était la première fois qu’il était attribué à l’unanimité. On m’a alors offert cette plaque que j’adore, sur laquelle on voit Saint Germain-des-Prés, et un mug du quatre-vingtième anniversaire que j’avais logiquement rangé dans ma cuisine avec les autres tasses. Un jour, la petite correspondante d’une de mes filles l’a cassé et j’étais dans un désespoir total. Je suis retournée aux Deux Magots pour avoir cet exemplaire que je garde précieusement dans ma bibliothèque.
Ma grande fierté est que le célèbre café consacre une page spéciale dans son menu au prix littéraire et que mon nom y est cité !
Une histoire de famille
C’est une photo de ma grand-mère maternelle et de sa sœur qui s’appelait Aymone, le prénom que j’ai choisi pour ma dernière fille. J’avais un lien particulier avec cette grand-mère qui est morte quand j’avais vingt ans. J’allais dormir chez elle tous les mardis soir et je passais aussi le mercredi entier en sa compagnie. Elle avait une très forte personnalité et j’étais sa petite fille préférée.
C’est aussi son histoire et le fait de découvrir que mon arbre généalogique n’était peut-être pas aussi précis que je le pensais qui m’ont inspiré Ce sont des choses qui arrivent. J’ai ensuite déplacé cette histoire, finalement assez banale, d’un enfant dont on découvre qu’il n’est pas vraiment de la famille, dans le contexte de la seconde guerre mondiale.
À juste titre…
Je conserve ce livre de Yoïne Rosenfeld en souvenir d’une anecdote étonnante. IL s’intitule Ce sont des choses qui arrivent Le jour où j’ai rendu mon manuscrit avec ce même titre, j’avais bêtement oublié de vérifier que ledit titre n’avait pas déjà été donné. L’assistante de mon éditeur l’a fait pour moi et j’ai alors reçu un appel m’informant d’un problème majeur : l’existence du livre de Yoïne Rosenfeld… Grasset m’a alors proposé d’autres titres et j’ai même longuement brainstormé avec mon mari et mes enfants mais je ne trouvais rien qui me convenait. Cinq jours après, je recevais à nouveau un coup de fil de mon éditeur qui, après la relecture du manuscrit, me confirmait que l’on ne pouvait pas titrer le livre autrement. Il s’était donc résolu à négocier les droits avec l’éditeur de l’ouvrage de Rosenfeld. Nous avons eu de la chance car l’auteur était mort en 1944 et le titre n’était pas d’origine : il avait été donné par la traductrice de ce recueil de nouvelles. Finalement nous avons obtenu l’accord juridique de la part de cette dernière pour l’utiliser.