Cinéaste prolixe, Patrice Leconte s’est illustré dans les registres les plus variés : si son appétence précoce pour la comédie lui a valu le succès phénoménal des incontournables Bronzés, le réalisateur n’aura de cesse de brouiller les pistes, jouant de noirceur avec Monsieur Hire, usant de poésie et de finesse avec La fille sur le pont ou s’essayant avec brio au film d’époque avec Ridicule. Sans lien manifeste avec le cinéma, sa sélection d’objets fétiches déroule les extraits choisis d’une enfance déterminante dans la vie et l’œuvre du cinéaste.
J’ai longtemps été attaché aux objets et je me suis dit qu’il fallait que cela cesse. J’essaie de ne plus me laisser envahir même s’il me reste quelques vestiges…La vraie malédiction c’est d’être assujetti à un objet : j’ai conservé longtemps au fond de ma poche un coquillage que m’avait donné Vanessa Paradis et dont elle avait décidé qu’il était un porte-bonheur. Quand quelqu’un que vous aimez vous offre un porte-bonheur en vous conseillant de le garder toujours sur vous, c’est un cadeau empoisonné. J’avais des sueurs froides à l’idée de le perdre. Et puis un jour, c’est arrivé : aucune malédiction ne s’est abattue sur moi, et j’ai été définitivement soulagé !
Courriers du cœur
Cette pince à gaufrer est un objet très beau, intriguant, on dirait un peu un animal. Elle marque mes courriers d’une empreinte élégante, un peu comme les sceau à la cire d’antan. J’écris encore beaucoup à la main même s’il est évident que le clavier a rendu le stylo très paresseux. J’ai résisté à des objets comme l’ordinateur, mais aujourd’hui je me dis que c’est absurde, il faut profiter de son temps et des opportunités extraordinaires que nous offre la technologie. Je refuse de faire partie des vieux cons du « c’était mieux avant ».
Esprit sain
Mon vrai compagnon de lecture, c’est Raymond Queneau : au travers de ses livres s’exprime ce mélange idéal entre intelligence et fantaisie. Quand j’étais adolescent j ai aussi beaucoup lu Boris Vian et cela m’illuminait parce que cela me changeait de Chateaubriand et de ce que l’on pouvait apprendre au lycée. Contrairement aux intellos suffisants, Queneau a la politesse et la gentillesse de se rendre accessible par l’humour, tout en restant quelqu’un d’extrêmement pointu et brillant… Le lire a sans doute développé mon goût de la comédie, de la fantaisie. Avec Queneau la légèreté est digne, respectable et intelligente. Peu d’écrivains réussissent à trouver cet équilibre de funambule.
Mini, mini, mini
Cette voiture est une miniature du modèle Ambassador qui m’a fasciné lors d’un voyage que j’ai fait en Inde il y a quelques années. C’est un modèle d’Austin, héritage des Britanniques et de l’époque coloniale, on en voit dans tous les coins. J’adorais ses formes, sa silhouette : lors de mon périple, je m’étais même renseigné pour savoir si je pouvais en acheter une et la ramener par la route, ce qui s’est avéré, bien entendu, beaucoup trop compliqué. Du coup, j’ai acheté sur Internet la dernière miniature qui existait dans cette collection.Je me suis rendu compte que les objets que j’affectionnais étaient souvent des miniatures de quelque chose. Je pense que ça remonte à l’enfance : aux petites voitures, aux bateaux télécommandés… Ainsi, ces miniatures sont des prolongements éternels de cette enfance qui me trotte encore en tête.
Effet de lumières
Ce presse-papier appartenait à mon grand-père Célestin Guillin, qui était instituteur et qui m’a appris à lire et à écrire, il avait cet objet sur sa table quand il me faisait faire mes devoirs de vacances l’été. De temps en temps avec les rayons du soleil, le presse-papiers renvoyait des arcs en ciel dans des prismes ou des figures géométriques sur la table : ça me fascinait mais je n’en avais jamais parlé à mon grand père. Quand il a été très âgé, il avait encore toute sa tête, il m’a dit « je sais que tu aimes bien cet objet, je te le donne ». Je ne me séparerai jamais de ce presse-papiers. Mon grand-père habitait en Normandie, il était instituteur dans un petit village ou il y avait une seule classe. Les instituteurs, il faudrait les canoniser, ils font un travail incroyable.
C’est mathématique…
Quand j’étais enfant, j’étais gros. Je mangeais beaucoup, que des cochonneries, ce qui m’a valu longtemps le surnom de Babar. Tant que j’étais petit, cela n’avait pas tellement d’importance : de toute façon j’étais volontairement solitaire, j’avais mon monde intérieur et je vivais bien avec ça. Mais quand il commence à y avoir les filles, c’est là que ça devient douloureux. Les filles ne s’intéressent pas aux gros, ce ne sont jamais eux qui concluent. À l’adolescence, je me suis donc repris en main. Mais j’ai encore le poids du fantôme de l’ancien petit garçon enrobé qui pèse sur ma tête, j’ai la hantise de regrossir et je monte tous les jours sur un pèse-personne. J’ai un poids de forme qu’il ne faut pas que je dépasse de deux cents grammes. C’est une névrose et en même temps c’est très encourageant de savoir que le fait d’être gros n’est pas une fatalité. Au même titre que les addictions comme le tabac ou l’alcool. Rien n’est inéluctable, il est toujours possible de s’en sortir.
Le grand bleu
Ma famille est d’origine normande et j ai passé mon enfance sur les plages du débarquement. Adolescent, j’ai fait du dériveur. J’aime surtout les bateaux parce que j’aime la mer ! Il y a un film formidable qui s’appelle Fidelio, l’odyssée d’Alice qui raconte l’histoire d’une fille qui embarque sur un bateau de la marine marchande pour y travailler. On peut aussi embarquer sur ces paquebots comme passager libre pour faire une retraite et cela a longtemps été mon rêve. Voir la mer se déchaîner je trouve cela fascinant.