Immédiatement identifiable, le look Chantal Thomass- frange stricte noir corbeau et bouche carmin- évoque autant les codes du glamour que le fort caractère de la créatrice qui a imposé sa patte il y a plus de quarante ans dans un univers dominé par les hommes. Toute à la fois femme de charme et de poigne, Chantal Thomass a révolutionné le monde de la lingerie en libérant les dessous chics du carcan de la séduction pour révéler le pouvoir d’une féminité pleinement assumée.
Dessous dessus
L’histoire imprévue des dessous féminins de Cecil Saint-Laurent est un ouvrage paru en 1966 et c’est le premier beau livre qui a été fait sur la lingerie. J’ai trouvé cet exemplaire aux Puces. Je me suis toujours intéressée à la lingerie et à son histoire, bizarrement d’ailleurs car je suis d’une génération où les dessous n’étaient pas du tout à la mode. Dans les années 70, les filles n’en portaient pas parce qu’il n’existait que des pièces très fonctionnelles.
Malgré cela, j’ai eu envie, quand je faisais encore du prêt-à-porter, de ressortir quelques pièces, comme le porte-jarretelles et le soutien-gorge pigeonnant, que j’ai réinventées dans des matières différentes et originales. Je les ai intégrées et révélées dans mes défilés en tant qu’accessoires de mode sous des chemisiers ouverts ou transparents, ou encore sous des jupes fendues. Ça a plu tout de suite. C’est comme cela que j’ai arrêté le prêt-à-porter pour me lancer dans la lingerie.
J’arrivais après le mouvement féministe qui considérait que les dessous étaient destinés à séduire les hommes. Les filles de ma génération se sont appropriées la lingerie comme un truc pour se sentir belle et pour se faire plaisir à soi-même.
Uniforme
Je porte le même rouge à lèvres depuis des années, c’est le Russian Red de chez Mac. Il tient, il est mat, la couleur me convient : je l’applique tous les jours. Personne ne me voit sans rouge à lèvres, hormis mon mari, mes enfants et petits-enfants, ou mes amis les plus proches que je souhaite pouvoir embrasser ! C’est ma marque de fabrique, un peu comme ma coupe de cheveux : je porte une frange depuis 1978 et c’est devenu mon logo, je n’ai plus jamais eu l’idée de changer de tête. Et c’est la même chose avec les vêtements, j’ai un dresscode rigide mais je ne parviens pas à m’en défaire. Je ne porte presqu’exclusivement que des pantalons parce que je trouve cela plus commode que les jupes, et je privilégie le noir pour son côté passe-partout. De façon générale, même si c’est paradoxal, les gens qui travaillent dans la mode ont tendance à s’habiller toujours pareil, ils se fabriquent une espèce d’uniforme qui traverse les saisons, à la différence de leurs collections qui sont destinées à être remplacées…
Être une femme
J’adore les nœuds papillon, je les collectionne et je les porte presque quotidiennement sur mes chemises, en alternance avec des cravates.Le nœud papillon incarne cette ambivalence sur laquelle j’aime jouer, entre le chic masculin et l’ultra féminité. Une personnalité comme Marlène Dietrich qui s’habillait en smoking, à contre-courant des normes de l’époque, m’a toujours beaucoup inspirée. Je trouve cela très sexy de porter de la très jolie lingerie féminine sous des habits d’homme. Je n’aime pas le côté obviously sexy, il faut qu’il y ait un décalage…
Dans l’histoire de la mode, il y a beaucoup moins de femmes que d’hommes qui ont fait carrière. Il faut dire qu’à mon époque, les femmes étaient beaucoup plus sévèrement jugées que leurs alter ego masculins…. En même temps, il est intéressant de constater que les créations de femmes, comme Sonia Rykiel et Anne-Marie Beretta, deux filles de ma génération, ou même de Coco Chanel, sont moins spectaculaires que celles de créateurs, comme Thierry Mugler ou John Galliano, par exemple, mais elles sont aussi beaucoup plus portables. J’ai porté des pièces de Thierry pour sortir à l’époque du Palace, parce que c’était un grand copain, mais c’était une souffrance !
Comme une image
J’ai trouvé ce miroir ancien aux Puces où je chine beaucoup. J’ai toute une collection de petits faces-à-main comme celui-ci qui habillent le mur de ma salle de bains à la campagne et j’ai même dessiné un grand format immense pour la maison Véronèse qui édite des objets de décoration fabriqués à Murano. J’ai toujours aimé les miroirs, c’est peut-être mon côté narcissique… J’ai un rapport assez obsessionnel avec mon image et en même temps j’ai du mal à comprendre ce phénomène des selfies qui sévit dans tous les défilés. Quand j’ai commencé, on ne nous photographiait pas beaucoup, sauf au Palace quand on s’habillait en créatures pour faire sensation. Aujourd’hui, on a l’impression que les défilés servent à photographier les gens qui y assistent….
Design d’objets
J’ai créé ce vase pour la maison italienne Rometti pour qui j’ai fait plusieurs collections. Celui-ci est issu de ma toute première collaboration avec eux.
Je fais pas mal de design d’objets, notamment pour des œuvres caritatives : une boite à gâteaux Delacre pour l’association Toutes à l’école lancée par Tina Kieffer ou encore une poupée pour l’Unicef.Rometti est une toute petite maison de céramique en Ombrie. Je les ai rencontrés sur un salon et j’ai tout de suite accroché. Ils sont moins d’une dizaine de personnes et toutes les pièces sont faites à la main. J’ai aussi un attachement particulier à l’Italie : je vais régulièrement à Côme pour les tissus et tous mes collants sont fabriqués dans ce pays, et puis la cuisine italienne est celle que je préfère !
Mentor
Cette broche m’a été offerte par François Lesage pour mes soixante ans. C’est un monsieur que j’aimais et que j’admirais beaucoup, il a fait des merveilles. François Lesage créait toutes les broderies pour les plus grands créateurs en Haute Couture. Son atelier, que j’ai eu la chance de visiter, a été racheté par Chanel qui doit encore posséder des cartons d’archives extraordinaires avec des broderies datant des années 30 ou 50…